Entretien avec Lotfi Benbahmed, président de l’Inter Ordre des pharmaciens d’Afrique

La création de l’Agence africaine du médicament est LA solution pour créer un véritable marché africain et développer notre industrie pharmaceutique.

La ville de Marrakech abrite, les 5 et 6 juillet, les travaux de la 20e édition du Forum pharmaceutique international. Plus de 3.000 personnes venant de 25 pays participent à cette grand-messe des pharmaciens africains. Lotfi Benbahmed, président de l’Inter Ordre des pharmaciens d’Afrique, livre aux lecteurs du «Matin» tous les détails sur cet événement.

Le Matin : Le Maroc abrite cette année la 20e édition du Forum pharmaceutique international. Comment expliquez-vous le choix du Royaume pour abriter cet événement d’envergure ?
Lotfi Benbahmed :
Tout d’abord, il faut savoir que le Forum pharmaceutique international (FPI), qui a été créé par les ministres de la Santé des pays africains en 1999, à Yaoundé au Cameroun, est composé d’un certain nombre d’institutions, notamment l’Inter-Ordre des pharmaciens africains (IOPA), l’Intersyndicale des pharmaciens africains (Ispharma), l’Association des centrales d’achat des médicaments essentiels (ACAME) et les directions des médicaments et de la pharmacie. Ces différentes institutions organisent une assemblée générale pour définir le pays qui va abriter le FPI parmi les pays qui ont déposé leur candidature, ce qui a été le cas du Maroc cette année. En effet, le Royaume avait déposé sa candidature en avril 2016 lors de la 17e édition du FPI qui s’est tenue en Tunisie. Puis cette demande a été confirmée en 2017 pendant la 18e édition du FPI en Algérie. Et ce n’est qu’en juin 2018, lors de la 19e édition du FPI organisée au Burkina Faso, que la candidature du Maroc a été retenue. Il faut dire aussi que le Maroc fait partie des pays les plus structurés au niveau de l’industrie pharmaceutique en Afrique. Et nous avons également constaté une véritable volonté des professionnels et des pharmaciens marocains de recevoir leurs confrères africains. Cela s’inscrit dans l’optique générale du pays.

Le Forum pharmaceutique international en est cette année à sa 20e édition, que pouvez-vous nous dire sur l’évolution de cette grand-messe des pharmaciens au fil des années ?
Le Forum pharmaceutique international était au début un forum basé sur les problématiques en liaison directe avec l’exercice de la pharmacie. Les participants discutaient, en général, des aspects réglementaires de la pharmacie, des moyens de lutte contre des phénomènes comme les médicaments falsifiés qui existaient et qui existent malheureusement toujours dans beaucoup de pays africains. Mais depuis quelques années, avec l’intégration et le développement de l’industrie pharmaceutique en Afrique du Nord, on parle beaucoup plus de développement intégré d’échanges continentaux. Aujourd’hui, notre mission qui consiste à protéger la Santé publique reste essentielle et le pharmacien, qu’il soit d’officine, à l’hôpital, en laboratoire d’analyses, dans la distribution ou dans la production, joue un rôle important pour veiller sur la qualité et la traçabilité du produit pharmaceutique. Mais plus que ça, nous estimons que notre secteur peut devenir un levier de croissance pour les différents pays et pour le continent en général. En effet, en développant ce secteur, on peut créer des richesses. Ainsi, au fil des années, les professionnels de la santé, les pharmaciens venant de différents pays et les autorités, quand ils se réunissent en marge du FPI, les recommandations vont vers une intégration africaine et la promotion de l’idée retenue par l’Union africaine, celle de créer une Agence africaine du médicament.

Où en sont justement les travaux pour créer cette Agence africaine du médicament ?
Le Maroc, à l’instar de nombreux autres pays africains, a signé le mémorandum pour la création de l’Agence africaine du médicament. Au niveau des réunions réglementaires qui se font avec l’Union africaine et l’AMRH (Harmonisation de la réglementation des médicaments en Afrique), on peut dire que techniquement la décision est prise pour la création de cette agence. Maintenant, c’est aux politiques de trancher pour concrétiser cela. Le produit pharmaceutique est un produit sensible qui nécessite énormément de réglementations et de procédures. La création de cette agence est donc LA solution pour pouvoir créer un véritable marché africain du médicament et permettre à notre industrie pharmaceutique de se développer en favorisant les échanges et en facilitant les enregistrements. C’est l’une des recommandations les plus importantes du FPI.

Parlez-nous un peu des autres objectifs de cette édition 2019 du FPI ?
Comme chaque année, le FPI cible toutes les composantes et les parties prenantes du secteur pharmaceutique. Il s’agit donc d’une occasion importante pour faire des échanges entre les pharmaciens, toutes spécialités confondues, dans le but d’améliorer leurs pratiques et préserver et consolider le monopole pharmaceutique. Par exemple, aujourd’hui, le rôle du pharmacien d’officine dans le monde a nettement évolué, suite aux recommandations de l’Organisation mondiale de la santé (OMS). Son travail est de plus en plus centré sur le suivi continu du malade, essentiellement les patients souffrants de maladies chroniques. Dans de nombreux pays développés, les compagnies d’assurances privées ont constaté que cette pratique permettait de faire de nombreuses économies et elles payent même les pharmaciens pour assurer le suivi de ces patients, ce qui permet la création de nouveaux emplois. Malheureusement, dans les pays africains où les couvertures médicales ne sont pas au niveau des pays développés, on traîne la patte. Ce forum sera alors une occasion pour parler plus en détail de ce sujet avec la présentation d’expériences de pays étrangers.

Le thème retenu pour cette année est «La sécurité et la qualité de l’acte pharmaceutique et de la biologie médicale», comment expliquez-vous ce choix ?
Le choix de ce thème découle de l’importance de promouvoir en Afrique un secteur pharmaceutique respectueux des normes internationales, au service de la santé publique des Africains. C’est pour rappeler que le plus important n’est pas la mise à disposition du médicament. Le médicament n’est pas un bien marchand, c’est un bien de santé qui peut soigner comme il peut tuer. Nous souhaitons insister sur ce point important : la réponse aux besoins en matière de santé de la population en Afrique doit absolument se faire dans la qualité. Il y aura donc des experts de très haut niveau, au niveau international, qui interviendront pour permettre aux institutions et aux pharmaciens de faire le point à ce sujet et faire des propositions aux autorités de nos pays pour continuer à développer notre secteur et avoir une meilleure qualité de l’acte pharmaceutique et de la biologie médicale.

Lancement du site web de l’IOPA

À la veille de la 20e édition du Forum pharmaceutique international (FPI), l’Inter Ordre des pharmaciens d’Afrique (IOPA) a lancé son site web. «La création de ce site internet permettra au visiteur d’accéder à l’ensemble des informations concernant les activités de l’IOPA, le compte rendu et la restitution des résolutions du FPI , ainsi que l’ensemble des informations concernant le secteur sanitaire et pharmaceutique ainsi que la législation des pays membres», affirme Lotfi Benbahmed, président de l’IOPA.
Représentant plus de 19 Ordres de différents pays d’Afrique centrale, de l’Ouest et du Maghreb, l’IOPA a pour vocation de rapprocher les pharmaciens des différentes catégories d’exercice et de mettre en place une coopération active, en soutien des pouvoirs publics au profit de la promotion de l’éthique et de la déontologie. L’IOPA œuvre également pour la mise à niveau et l’harmonisation des cadres législatifs et réglementaires, la mise en place des bonnes pratiques, du contrôle de qualité et de l’accréditation, l’adaptation et la labellisation de la formation initiale et continue et pour la lutte contre les médicaments falsifiés, les trafics transfrontaliers et le charlatanisme.

Entretien réalisé par Hajjar El Haiti